Annie Ernaux, « L’Autre fille »

° par Cristina ROBALO CORDEIRO (Coimbra)°

Je n’ai pas été la seule à être touchée par la révélation de ce secret de famille – à dix ans, Annie Ernaux (Lillebonne, 1940) surprend une conversation entre sa mère et une cliente de l’épicerie et apprend que, avant sa naissance, ses parents avaient eu une autre fille, morte à l’âge de six ans de la diphtérie -, sous forme de lettre adressée à la sœur disparue, texte qui éclaire d’une autre lumière certains romans déjà parus – La Place en 1984, Une femme en 1989, Je ne suis pas sortie de ma nuit en 1997. Cette longue lettre, sous le titre L’autre fille, est publiée en 2011 chez Nil Éditions, dans la collection Les Affranchis. 

Annie Ernaux, L’Autre fille, Light Motiv, Coll. Singulières, 2023.

Aussi, la photographe Nadège Fagoo, après la lecture de ce petit livre, et frappée par la coïncidence entre les mots d’Annie Ernaux et ses propres images, entreprend de réaliser un film photographique où sa fiction et la réalité de l’écrivaine fusionnent. Et un dialogue de cœur prend naissance entre ces deux femmes qui font converger leur créativité sensible dans un nouveau texte, signé à deux mains, en 2023, dans la collection Singulières de Light Motiv.

L’autre fille devient alors un autre dialogue où l’écrivaine s’adresse à sa sœur autant par ses mots à elle que par des images qui restituent un lieu, une atmosphère, une émotion, un non-dit. La sœur morte devient matière, des cheveux en désordre, un bras qui tombe, une main qui repose par terre, un pied qui descend une marche d’escalier, un corps allongé, un corps qui marche, un corps qui danse, une silhouette au loin. Et il n’y a plus d’obstacles entre elles, plus de distance, plus de secret : les deux sœurs se rencontrent, se regardent, les cheveux blonds de l’une touchent le visage et les yeux bleus de l’autre, brune. Leurs enfances se répètent – d’un trio familial à l’autre – et ce qui était distance infranchissable devient attachement, entente.

Cette complicité retrouvée – « mais toi et moi étions destinées à rester uniques » (p.61) – est aussi celle de la parole et de l’image qui, par un même et fécond mouvement poétique, convoquent autrement l’absence : la mort est là, mais son mystère ne fait plus mal !L’autre fille nous fait naviguer entre l’écrit et le visuel, entre la parole de la poésie et la poésie de l’image, dans un texte qui se fait corps et convoque le temps pour l’annuler.

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