Mohamed Mbougar Sarr, « De purs hommes »

° par Cristina ROBALO CORDEIRO (Coimbra)°

De purs hommes, publié au Sénégal en 2018, est le troisième roman de Mohamed Mbougar Sarr (Dakar, 1990), romancier sénégalais qui a obtenu le prix Goncourt, en 2021, pour son livre La Plus secrète mémoire des hommes.

Mohamed Mbougar Sarr, De purs hommes, Éditions Jimsaan, Dakar, 2018.

Vingt petits chapitres composent ce roman, qui s’inspire d’un fait divers : une vidéo devenue virale au Sénégal montre un cadavre déterré et traîné par la foule hors du cimetière. Obsédé par cette vidéo, le protagoniste Ndéné Gueye, professeur de lettres, entreprend toute une recherche sur le passé de cet inconnu, pour comprendre le féroce bannissement dont sont victimes ces góor-jigéen, les « hommes-femmes » sénégalais cruellement rejetés par la société, persécutés et traqués dans leurs vies et dans leur intimité. Mais cette enquête sur un phénomène social et civilisationnel devient vite une quête à l’intérieur de lui-même, un questionnement – et un étonnement– au plus profond de son être. À travers ses échanges avec les autres, ses proches – son père et son amante, ses collègues à l’Université – ou ses connaissances –comme Samba Awa Niang, travesti connu pour ses performances dans les sabar, Al Qayyum, l’autorité religieuse du quartier, Angela, l’américaine de Human Rights Watch et la mère d’Amadou, l’homosexuel arraché à la mort -, qui offrent au lecteur la possibilité de connaître et de pénétrer dans des mondes très différents de la société sénégalaise traditionnelle, Ndéné Gueye assiste au dévoilement progressif de sa vraie nature et se découvre autre qu’il croyait être.

Déchiré à l’intérieur par l’affrontement de forces dont il n’avait pas conscience, il devient le symbole même de la blessure ouverte dans la société sénégalaise dénoncée pour son hypocrisie et ses multiples contradictions. Ce roman – car il s’agit bien d’un roman, même s’il s’apparente par moments à un manifeste, par son ton pamphlétaire, ou à un essai, par la lucidité de son analyse de la société (intransigeante dans son discours religieux et dans la punition de l’homosexualité), et la vigueur de son argumentation – est un témoignage fort et poignant d’un homme prêt enfin à affronter la monstruosité de ceux qui l’entourent et à assumer sa différence :  « J’ai fait mon choix. Tout le monde ici est prêt à tuer pour être un apôtre du Bien. Moi, je suis prêt à mourir pour être la seule figure encore possible du Mal ».

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